Relevant autant de la confiance que de la confidence et du silence, le secret constitue la base d’une relation étroite et ambiguë entre le professionnel et son client. Quelle place pour le secret dans une société en quête de transparence ?
Du médecin au notaire, en passant par l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes, nombreux sont les professionnels soumis à la loi du silence.
Depuis le 1er mars 1994, le code pénal ne dresse plus la liste des professionnels tenus au secret dans l’exercice de leurs fonctions mais prévoit des sanctions pour violation du secret professionnel. Son article 226-13 stipule ainsi que :
« la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Ne font exception à cette règle que certains cas bien définis, pour lesquels la loi impose ou autorise la révélation du secret (Code pénal, article 226-14), ou lorsque la sécurité de l’individu ou de la société l’exige. Il arrive, en effet, que le notaire doive privilégier son devoir de conseil au secret professionnel, en particulier dans l’intérêt de personnes vulnérables comme les personnes âgées sous tutelle. Le notaire se trouve même parfois dans l’obligation de sortir de son devoir de réserve, comme en cas de suspicion de blanchiment d’argent dans le cadre d’une opération immobilière ; il doit alors alerter les services fiscaux, lesquels vérifieront l’origine des fonds devant servir à la transaction.
Vie privée et vie publique
Dépositaire et gardien du secret, celui qui est soumis au secret professionnel doit veiller scrupuleusement à ce que certaines informations relevant de la sphère privée ne tombent pas dans le domaine public. Pourtant, la tentation peut parfois être grande de parler au lieu de se taire, surtout lorsque des pressions a priori légitimes s’exercent.
Il n’est pas rare que des proches cherchent à accéder à certaines informations confidentielles, au motif qu’elles les concernent directement ou indirectement, notamment pour des problèmes de santé, des questions d’héritage ou de filiation. Les médecins et les notaires le savent bien, devant souvent justifier leur refus de révéler à un tiers le contenu du dossier médical d’un patient ou l’existence d’un testament pour un client alors qu’ils recueillent les confidences les plus intimes voire les secrets les plus insolites en toute confiance.
Car aussi difficile que cela puisse être à admettre, un notaire n’est pas là pour dévoiler l’existence d’enfants hors mariage à l’un des époux, pas plus qu’un médecin pour révéler une maladie bénigne ou incurable à un membre de la famille de son patient.
Mais la pression la plus forte vient sans aucun doute de l’opinion publique, qui réclame de connaître la vérité. L’article 11 du code de procédure pénale impose le secret de l’instruction aux magistrats, greffiers, experts et policiers concourant à une instruction judiciaire, dans le double objectif de ne pas compromettre la réussite de l’enquête et de respecter la présomption d’innocence.
L’autorité judiciaire peut, au contraire, obtenir toutes sortes d’informations de la part de tiers (administrations, sociétés commerciales, établissements financiers…) tenus de donner suite à ses demandes. Malgré le secret de l’instruction, des « fuites » sortent pourtant dans les journaux, nourrissant régulièrement la polémique. Les journalistes invoquent alors la protection du secret des sources pour ne pas avoir à dévoiler leurs sources d’information (Charte d’éthique professionnelle des journalistes). Se pose alors la question de la place de la liberté de la presse et, plus largement, du droit à l’information en démocratie ? En d’autres termes, les médias ont-ils vocation à percer le secret pour faire éclater les « affaires », quitte à faire scandale ?
Conscience morale
Délicat à garder face à l’appétit de curiosité et au besoin de transparence, le secret se révèle souvent ambigu voire paradoxal, y compris dans le domaine médical, où il est parfois partagé dans l’intérêt du malade.
Dans le domaine militaire, au nom de la raison d’État, il a même conduit à la condamnation d’un innocent, Alfred Dreyfus, accusé d’espionnage entre la France et l’Allemagne puis réhabilité après avoir divisé le pays en deux camps au tournant du XX siècle.
Reste que le secret apparaît souvent comme une norme professionnelle strictement définie et encadrée par un code ou une charte de déontologie servant de garde-fou à bien des dérives. Le respecter se veut, aussi et surtout, une question de moralité et de nécessité.